Le mouchard sur le toit


Quelque part en Bretagne pendant le confinement... 20 auteurs bretons de premier plan conjuguent leurs talents pour dérouler un roman-feuilleton collectif totalement inédit, plein de suspense. Le mouchard s'appelle Gestapo, ça promet !
« Bon, Arthur vient maintenant, tu laisses le monsieur tranquille et tu vas jouer dans ta chambre en attendant que papa rentre des champs »
Visiblement l’enfant n’entendait pas sa mère tant il était captivé par l’arme à feu que faisait virevolter Jim, tout de noir vêtu. L’homme avait un fort pouvoir de fascination et prenait maintenant dans l’esprit de l’enfant des allures de Batman.
Il faisait plein soleil sur la route de campagne, mais le SUV de location -une Peugeot 3008- avançait noir comme la nuit. A son bord, deux Américains : Kelly Dolfer, alias Candy, et James Cottonmouth Rattler. La jeune femme venait de résumer la situation :
- On va faire comment ? C'est le confinement, le shutdown. Les gens restent à la maison ou travaillent depuis chez eux.
Germaine et Fanch Le Dantec ne disaient rien, ils ne bougeaient pas. Germaine, une robe de chambre sur sa combinaison noire, un peu hagarde. Le Dantec, comme sidéré.
Marcel se pencha hors du lit, ramassa son slip - vraiment trop petit le slip - et l'enfila, sous le drap, avant de se lever.
- Ben alors, vous avez des choses à me dire ?
Il était évidemment un peu agressif, on le serait à moins. Fanch Le Dantec le fixait des yeux. Le scrutait. Et tout à trac :
Oui, à plaindre… Il est à plaindre, parce que le voilà pris, tombé dans le piège. Et par sa propre faute, comme d’habitude. Impossible de s’échapper. Comment a-t-il pu ne pas se méfier ? Accepter tout l’air de rien, se résigner avec un grand sourire. D’où lui était venu un sourire pareil ? Quel crétin. La prudence, l’intelligence, l’affection auraient dû le guider. Mais non, il s’était laissé berner, et il avait cédé à tout. On ne peut pas exister que dans l’instant. Le réel finit toujours pas imposer sa loi, ses obstacles, ses détours.
Vexé, Gestapo longeait le mur du jardin de Germaine.
Marcel tournait en rond dans la salle, perdu dans une maison inconnue sans téléphone, dans un village dont il ne connaissait pas le nom, avec Germaine et sa vieille mère, confiné et surveillé, dessaoulé certes, mais l’esprit encore embué par la soirée chez Joseph Kersalé à La Torche. Quelle route avait-il pris à la sortie du bar, combien de kilomètres avait-il parcouru ? Pas beaucoup dans l’état où il était ! Pas rasé, dans des vêtements hors d’âge, le visage fripé, il avait une allure de jeune vieillard, il se fit peur en se regardant dans ce qui avait dû être un miroir.
- Qui ça ?
- Jeannot ! nasilla une voix dans le portable. Jeannot Postec, de Concarneau.
Manquait plus que ce chonchon, s’agaça Marie-Laure Lelièvre.
Cela faisait un moment que Fanch le Dantec était au courant du surnom dont on l’avait affublé dans le coin : Gestapo. Du temps où il était encore sensible -depuis, heureusement, ça c’était amélioré- il en avait même chopé un ulcère, qu’il avait soigné comme il pouvait. A coup d’emplâtres. Puis, il avait fini par en prendre son parti. Il s’était installé dans ce bourg perdu, aux confins du Finistère pour sa retraite. Le paradis au bout de la terre. Il avait assez vite déchanté jusqu’à regretter son passé de citadin dans la police.
Marie-Laure Lelièvre commençait à s'inquiéter modérément. Ce n'était pas la première fois qu'il découchait, son Marcel, mais il aurait au moins pu se fendre d'un coup de fil, cet abruti, la moindre des choses, ou se contenter d'un texto même si le prétexte qu'il allait encore lui sortir était bidon. Elle avait l'habitude.
L’aube surprit Marcel Lelièvre au volant de sa voiture, raide et mal réveillé, avec une douleur lancinante qui lui battait les tempes. Il ouvrit les yeux sur un jour blême, et les referma bien vite car le décor qui s’offrait à lui n’était pas avenant : une étendue d’eau bordée de joncs secs qu’un vent frisquet agitait, produisant un bruit agaçant.
D’ailleurs, c’était un de ces matins où tous les bruits sont agaçants.